22 octobre 2005

Un véritable féministe


Voilà l'homme à qui je dois une fière chandelle.

Sans lui, la jeune inconséquente que j'étais (et qui se retrouve enceinte au début de l'université), je ne sais pas ce qu'elle serait devenue... Sans doute aurais-je été contrainte à faire une croix sur ma carrière et mon indépendance, comme nombre de ces jeunes femmes qui ont dû enterrer leurs espoirs de réussite pour un stupide accident de parcours.

En Belgique, au début des années septante, le planning familial était encore largement embryonnaire. Des réseaux permettant d’avorter dans de bonnes conditions commencent à se mettre en place, mais les lieux où se pratiquent l’avortement en Belgique demeurent rares.

A l'ULB (Université Libre de Bruxelles), le centre de planning familial venait d'emménager dans ses locaux, pour faire de la dépénalisation de l’avortement son cheval de bataille. Cette association l'ASBL Aimer à l'ULB jouera un rôle de pionnier dans la pratique extra-hospitalière de l’avortement.

Mais ce n'est qu'en mars 75, qu'aura lieu le premier avortement en milieu extra hospitalier en Belgique, dans les locaux même d’ Aimer à l’ULB.

Heureusement que déjà bien avant, un certain nombre de gynécologues pratiquent l'IVG en milieu hospitalier, au mépris de la loi, encourant souvent des risques importants. Le Docteur Peers était de ceux-là.


Willy Peers était directeur du service gynécologique et obstétrique de la Maternité provinciale de Namur, et maître de stage à l'ULB.

Le 16 janvier 1973 éclate ce que l'on appelle « l'Affaire Peers » : sur base d'une dénonciation anonyme, le gynécologue est arrêté et incarcéré pour avoir procédé à l'avortement d'une jeune fille de 27 ans et atteinte de déficience mentale, ce que la loi interdit depuis 1867. On lui reprochera également d'avoir pratiqué plus de 300 avortements au cours des neufs derniers mois. Heureusement, son arrestation provoque une vague d'indignations sans précédent et les féministes descendent en masse dans la rue. Le soutien au Dr Peers est tellement impressionnant (plus de dix mille personnes), qu'il est libéré après 34 jours d'incarcération.

Pour sa défense, Willy Peers avait invoqué le respect de la vie et de la personne humaine; et estimé ne pouvoir tolérer que des femmes soient mutilées ou meurent des suites d'un avortement clandestin.

Suite à ces événements, l'interdiction sur la contraception sera levée en 1973 mais il faudra attendre 1990 pour que soit enfin votée une loi dépénalisant partiellement l'avortement en Belgique. Malheureusement, Willy Peers ne verra pas cet accomplissement. Le 30 novembre 1984, il s'éteint, épuisé, sur son lieu de travail.

Puissent les femmes rendre hommage à ces médecins courageux, comme le Dr Willy Peers en Belgique, ou Henry Morgentaler au Canada, qui ont été aux avant-postes de la lutte pour le droit des femmes à disposer de leur corps, droit sans lequel il n'y a pas d'égalité de droits possible entre hommes et femmes.

13 octobre 2005

Fille de fille-mère..

Extrait d'un échange sur usenet

[Anne]:
Comment savoir, lorsqu'on couche avec deux hommes dans une période fertile, lequel est le père ?

[Lf (Laure Fournier)] : Et surtout: est-ce si important?

Ca l'est parfois plus pour l'enfant que pour la mère. Lorsque j'ai voulu avoir un enfant, j'ai "fait mon bébé toute seule", comme disait Jean-Jacques Goldman dans une chanson bien connue à l'époque. J'avais plusieurs amants, dont deux qui avaient une probabilité assez grande d'être le géniteur potentiel. Ils ont tous deux tenus à devenir parrains de la petite. Aujourd'hui hélas, l'un d'eux, qui était marié, est décédé, et l'autre célibataire et sans enfants, a depuis adopté ma fille (déjà majeure à l'époque).

N'empêche, maintenant qu'elle vit elle-même en couple, et qu'elle s'apprête à faire un bébé, elle se demande si.., ou si.. Je pense être arrivée à la dissuader de vouloir approfondir la question, même avec l'accord de (celui qui est devenu) son père (et qui, je le sais, ne refuserait rien à sa fille adoptive, même un test ADN si elle lui demandait).

A quoi bon aller remuer ça ? D'un point de vue rationnel, ma fille en est bien consciente : lever l'incertitude n'offre que des inconvénients, pour absolument aucun avantage. Mais voilà, malgré tout, le besoin de savoir lequel était vraiment son père biologique la tenaille ..même si elle se rend compte que ce besoin de « savoir pour savoir » est stupide.

[JR (Jacques Rouillard]: Après tout, un bon pourcentage d'enfants de couples mariés étant le fruit d'adultères, c'est une probabilité qui touche absolument tout le monde.

Voilà. :-)

[JR] : Ressemblance physique ou pas, cf la ressemblance de la supposée fille de Montand avec son supposé père. Si donc ça tenaille votre fille, pourquoi est-ce que ça ne tenaille pas tout le monde?
L'enfance de ma fille n'a pas été comme celle de "tout le monde".

Des "filles-mères", comme on disait à l'époque, ce n'était déjà pas si courant.
Et certainement pas une "fille-mère" par choix. Je l'ai élevé seule, elle est allée très tôt à la crèche, mais j'ai néanmoins essayé quelle soit le plus souvent possible avec moi, même quand je partais en voyage d'affaires.

Pas question cependant d'interrompre ma carrière, je venais d'être nommée responsable de l'exploitation d'une salle informatique. Quand je contrôlais l'exploitation de nuit, je la prenais avec moi, dans la salle de contrôle. Quand un opérateur entrait, pour chercher une bande ou déposer des listings, il en profitait pour lui faire des risettes penché sur son couffin. J'étais tombée amoureuse d'un homme politique que je suivais partout, réceptions, dîners, galas, vernissages, .. en tailleur chic avec un sac kangourou sur le ventre.

Très chic, je vous assure, sisi.. Surtout avec un reliquat de panade au betterfood sur l'épaule. Heureusement que l'époque était non-conformiste, voire carrément anti-conformiste, ce qui me permettait de jouer les égéries d'avant-garde :-)




Le WE, je faisais aussi de la moto : j'avais acheté un ample blouson de cuir, qui ne me comprimait pas les seins, et qui me permettait en plus de lui faire une petite place, bien au chaud contre sa maman. Quand il faisait beau, je mettais mon blouson et je lui disais : "viens ici ma p'tite grenouille", et hop, parties toutes les deux, coeur contre coeur, sur les chemins de campagne, où nous allions voir le raisin mûrir dans les serres, ou encore retrouver mes parents, effarés de nous voir arriver en pareil équipage..

Ses parrains venaient souvent la voir aussi, parfois ensemble, ce qui donnait de drôles de « réunions de famille» où leur plus grand plaisir était de faire semblant de se «quereller» en essayant chacun de trouver le plus de ressemblances possible avec ma fille, à grands coups de surenchères.. Ils en faisaient tant et plus que je finissais par me demander si j'y étais encore pour quelque chose dans la "fabrication" de ma fille, et s'ils ne l'avaient pas faite finalement à eux deux.

Bref, je pense avoir donné à ma fille une jeunesse heureuse, quoique particulière et assez échevelée. J'avais découvert cette prodigieuse liberté que les années '70 offrait aux femmes, et j'en profitais à 200 à l'heure (j'avais aussi acheté une BMW 2002 tii décapotable), et j'y associais ma fille, persuadée d'être la meilleure mère du monde.

Pourtant, à l'adolescence, ma fille m'a fait une crise d'adolescence tardive que je qualifierais de «basse intensité, mais longue et tenace » avec bouderies, et rupture de toute communication parfois pendant des semaines. Elle était devenue nettement plus traditionnelle que sa mère. Etait-ce parce que j'en avais fait trop ? Etait-ce parce qu'elle se sentait trop différente de ses compagnes, moins évoluées qu'elle ? Etait-elle atteinte de ce mal que l'on nomme « la recherche de ses racines »

Aujourd'hui, elle est largement adulte, et elle a fait un virage de 180° par rapport à cette période, et nous sommes redevenues les meilleures amies du monde. Elle semble avoir compris que je n'étais pas qu'une originale un peu « spéciale », mais que, au contraire, il y avait derrière cette apparente nonchalance dans la manière d'assurer son éducation une philosophie de vie qui m'imprégnait : celui d'une femme libre.

Libre et indépendante.

Libre et heureuse.